Et si l’élection de 2018 était à la proportionnelle, un premier débat de chefs le 13 septembre et l’exemption culturelle de l’ALÉNA comme enjeu de campagne

10 septembre 2018
(No 2018-04)


Alors que la campagne électorale en cours donne lieu à des rapprochements amusants entre les partis politiques et les personnages de la célébrissime série La petite vie, nous sommes à mi-parcours de la campagne des élections générales du Québec, 19 jours s’étant écoulés depuis la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation du peuple du Québec… et 20 jours nous séparant du scrutin du 1er octobre 2018. De Paris où j’ai séjourné du 4 au 9 septembre, j’ai suivi la campagne par la voix des nos médias et voici ce que j’ai retenu de la troisième semaine de campagne… et qui devrait susciter de l’intérêt durant sa quatrième semaine.

Que donnerait la proportionnelle mixte ?

L’analyse qui a attiré le plus mon attention durant la troisième semaine de la campagne électorale aura été l’article également l’article publié sur le site de L’Actualité du 7 septembre 2019 sous la plume de Philippe J. Fournier et le titre « Que donnerait la proportionnelle mixte ? ». Après avoir rappelé que « le 10 mai 2018, « les chefs et porte-paroles du Parti Québécois, de la Coalition Avenir Québec, de Québec solidaire et du Parti vert du Québec avaient signé une entente pour réformer le mode de scrutin au Québec pour mettre en place un système de scrutin proportionnel mixte compensatoire [SPMC] », le chroniqueur électoral de L’Actualité cherche à prévoir la projection des sièges dans le cadre des élections générales du 1er octobre 2018.

Celui-ci décrit d’abord le système de scrutin proportionnel à partir duquel il effectue ses projections. Le nombre de circonscriptions où le scrutin majoritaire à un tour (SMUT) continuerait de s’appliquer passerait de 125 à 78. Pourquoi 78 sièges? Parce que, par souci de simplicité, les circonscriptions SMUT seraient calquées sur la carte électorale fédérale qui regroupe 78 circonscriptions au Québec. Seraient ajoutés 50 sièges compensatoires qui seraient attribués aux partis ayant dépassé un seuil minimal dans le but d’obtenir une représentativité proportionnelle. Les 50 sièges compensatoires seraient attribués par région où les partis qualifiés sont le plus sous-représentés. Le seuil minimal qu’un parti devrait obtenir afin de se qualifier pour recevoir des sièges compensatoires serait fixé à 5% des suffrages lors des élections générales. L’Assemblée nationale passerait ainsi de 125 à 128 sièges,

Après avoir effectué des projections selon les résultats aux deux dernières élections générales québécoises et conclu que l’Assemblée aurait été composé en 2012 de 42 péquistes, 42 libéraux, 36 caquistes et 8 solidaires (plutôt que 54, 50, 19 et 2) et en 2014 de 55 libéraux, 33 péquistes, 30 caquistes et 10 solidaires (plutôt que 70, 30, 22, 3), Philippe J. Fournier établit une projection des sièges à partir de la projection d’un vote populaire qui se situerait à 34, 1% (CAQ), 30,8 % (PLQ), 18,9 % (PQ) et 11,0 % (QS). Une telle projection verrait la Coalition Avenir Québec récolter 46 sièges, le Parti libéral du Québec 42, le Parti Québécois 25 et Québécois solidaire 15, comme le révèle le tableau ci-après :

Un tel résultat aurait comme conséquence que la CAQ n’aurait pas la majorité des sièges à l’Assemblée nationale et devrait compter sur les 25 députés et députées du Parti Québécois pour qu’une majorité s’y dégage. Il est intéressant de constater que les trois politiques auraient un nombre relativement également de sièges, les autonomistes de la CAQ en comptant 46, les fédéralistes du PLQ 42 et les indépendantistes du PQ et de QS 40.

Un tel résultat contrasterait avec celui qui, sur la base de la même projection du vote populaire et par l’application du Système majoritaire à un tour (SMUT) prévue à l’élection générale québécoise du 1er octobre, donnerait une majorité (65) de députés et députées à la CAQ (65), un nombre significatif (43) de députés et députées à un PLQ appelé à former l’opposition officielle et priverait à la fois le PQ (11) et Québec solidaire (6) d’un statut de parti reconnu en raison de l’exigence minimale de 12 membres pour obtenir un tel statut.

C’est sans doute avec ces données à l’esprit que Jean-François Lisée a interpelé François Legault au sujet de la réforme du mode de scrutin. Ainsi, comme le rapporte La Presse dans un article diffusé hier sous le titre « Réforme du mode de scrutin: Lisée ‘’ doute ‘’ de Legault », le chef du Parti Québécois expliqué qu’il avait un tel doute parce que le chef de la Coalition Avenir Québec avait  « signé le document où il s’engage à déposer dans l’année un projet de loi sur la réforme du mode de scrutin (…), »,  mais qu’il ne l’avait jamais entendu dire « que la réforme serait appliquée à l’élection de 2022 »

C’est une question à suivre de près… qui pourrait donner lieu à d’intéressants d’échanges lors du premier débat des chefs.

Un premier débat des chefs le 13 septembre 2018

Après avoir dialogué avec la jeunesse québécoise dans la cadre d’un évènement organisé le 17 août 2018 pour l’Institut du Nouveau Monde et Le Devoir (voir Le carnet électoral de Daniel Turp (No 2018-01) (20 août 2018)), les chefs et porte-parole des quatre partis représentés à l’Assemblée nationale participeront à leur premier débat dans le cadre de la campagne des prochaines élections générales. Ce débat aura lieu le jeudi 13 septembre 2018 à 20 h. S’y opposeront Philippe Couillard (PLQ), Jean-François Lisée (PQ), François Legault (CAQ) et Manon Massé (QS). Cette soirée sera animée par Patrice Roy de Radio-Canada et les aspirants et l’aspirante à la fonction de Premier ou Première ministre du Québec devront répondre aux questions que des citoyens et citoyennes du Québec auront formulé à leur intention sur des sujets qui les préoccupent.

Ce débat, produit par Radio-Canada, sera diffusé sur ICI Radio-Canada Télé et ICI RDI, Télé-Québec et V, sur Radio-Canada.ca, LaPresse +, Noovo.ca, La Presse canadienne et les plateformes numériques des journaux Le DevoirMétro et Les Affairesainsi que le Huffington Post-Québec.

Deux autres débats par ailleurs prévus d’ici la fin de la campagne. Ainsi, un débat des chefs en langue anglaise se déroulera le lundi 17 septembre 2018 à compter de 17 h 30. Produit et diffusé par CBC Québec, il pourra être également vu sur CTV News et  Global News et écouté sur CJAD 800, City, et visionné sur le site de The Montreal Gazette. Un Face à Face Québec sera diffusé sur les ondes de TVA et LCN le 20 septembre de 20 h à 22 h.

La renégociation de l’ALÉNA et la campagne électorale québécoise

Les négociations destinées à moderniser l’ALÉNA, à laquelle j’a consacré une partie du carnet électoral la semaine dernière, ont repris le mercredi 5 septembre, mais n’ont pas permis d’en venir  un accord lorsqu’elles ont été à nouveau ajournées le vendredi 7 septembre. Si le système de gestion de l’offre en matière agricole est toujours dans la mire de l’équipe de négociation américaine et que l’abrogation du chapitre 19 de l’ALÉNA sur le règlement des différends est toujours à l’ordre du jour, c’est également la clause d’exemption culturelle qui est contestée. Dans une chronique intitulée  « Trump, l’ALÉNA et nous » publiée dans Le Devoir du 5 septembre 2018, Louise Beaudoin écrivait avec justesse ce qui suit :

Et il n’y a pas que l’agriculture qui soit à risque, il y a aussi la culture. Qu’adviendra-t-il de l’exception culturelle, héritée de l’Accord de libre-échange canado-américain (ALE) de 1988 ? Le premier ministre Justin Trudeau a répété mardi qu’il n’est prêt à aucun compromis en matière de culture, mais encore faudrait-il savoir ce qu’inclut sa définition de l’exception culturelle. Non seulement il a l’obligation de ne pas la laisser tomber, mais il doit y ajouter la dimension numérique, sans laquelle il sera impossible d’imposer, par exemple, des quotas de contenu national ou de « découvrabilité » des oeuvres de nos créateurs sur des plateformes telles Netflix et Amazon. Ce que les pays européens s’apprêtent d’ailleurs à faire. Plus largement, il ne doit pas abdiquer son pouvoir d’adopter et de mettre en oeuvre des « mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur son territoire », comme le prescrit la Convention de l’UNESCO adoptée en 2005. Convention que les États-Unis ont refusé de signer.

Et comme je l’ai évoqué la semaine dernière (Le carnet électoral de Daniel Turp (No 2018-03) (4 septembre 2018), elle suggère une avenue qui permettrait au Québec de ne pas être lié, sans son consentement, par un nouvel ALÉNA et les dispositions qui iraient à l’’encontre de ses intérêts :

À supposer que la renégociation de l’ALENA se conclue au détriment du Québec, dans ses champs de compétence exclusifs ou partagés, comme l’agriculture et la culture, nous aurons alors une grave décision à prendre. Là où les Wallons n’ont pas su résister, oserons-nous le faire ? En effet, le nouveau gouvernement pourrait décider de « tester » la Loi sur le ministère des Relations internationales que j’ai fait modifier en 2002, sur proposition de Daniel Turp, en y introduisant un mécanisme d’approbation par l’Assemblée nationale de tout accord international portant sur une matière liée à la compétence constitutionnelle du Québec. En clair, les députés et l’exécutif pourraient déclarer ne pas être liés au nouvel ALENA dans les champs de compétence du Québec ou n’y être liés qu’en partie, quitte à provoquer ainsi un bras de fer constitutionnel ayant comme enjeu la reconnaissance effective de la doctrine Gérin-Lajoie, sur laquelle s’appuie la politique internationale du Québec depuis les années 1960. Quel candidat est prêt à s’engager à aller jusque-là, s’il le faut ?

Cette question mériterait d’être posée aux quatre chefs lors du débat du 13 septembre, alors que le résultat des négociations sera peut-être connu. Et même si la négociation n’était pas achevée, la question mériterait une réponse. Je vous rappelle qu’un nouvel ALÉNA constituerait un engagement international important au sens de la Loi sur le ministère des Relations internationales du Québec (R.L.R.Q., c. M-25.1.1) et requerrait, en application de l’article 22.4 de cette loi, l’approbation de l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale pourrait dès lors rejeter un tel engagement et le gouvernement du Québec pourrait se fonder sur un tel rejet pour refuser son assentiment à ce que le Canada devienne partie à un tel traité.

Les réponses des chefs pourraient d’ailleurs être alimentées par l’opinion formulée par mes collègues Ivan Bernier et Véronique Guèvremont qui signent un texte intitulé « Comment traiter l’exemption culturelle dans un ALÉNA renégocié » dans la page Idées du journal Le Devoir de ce matin. Les deux internationalistes de l’université Laval proposent d’ailleurs que le Canada profitent de cette renégociation pour obtenir des clarifications sur la portée de l’exemption culturelle, et principalement sur la possibilité de représailles lorsque la clause est invoquée et son application au commerce électronique, et concluent leur plaidoyer en ces termes :

À défaut de procéder à une telle clarification, le Canada pourrait ne plus pouvoir s’offrir les outils et solutions vers lesquels se tournent actuellement les pays européens pour assurer la présence de contenus culturels européens sur les plateformes numériques utilisées par les Européens. Le Canada s’est pourtant battu pour obtenir une convention internationale visant à réaffirmer le droit des États d’intervenir pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles sur leur territoire et à l’échelle internationale. Il ne faudrait pas que la renégociation de l’ALENA constitue un recul par rapport à cet engagement.

C’est à suivre et, comme l’a suggéré le journaliste Alec Castonguay dans un article diffusé le 6 septembre 2018 sur le site du magazine L’Actualité sous le titre « Trump, Trudeau et le Capitaine Québec »,  « [l] négociations en cours à Washington sur l’ALENA ont toutes les chances de contaminer les élections québécoises » et  « que  ne sera pas facile à arbitrer pour celui qui revêtira la cape de Capitaine Québec ».

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Je vous souhaite une bonne quatrième semaine de campagne… et serai de retour le 17 septembre avec le cinquième de sept carnets électoraux !